L'homme, animal plus tout à fait bête, pas tout à fait humain. 


Il y avait autrefois un monde dominé par des êtres bien singuliers. 
Ce que l’on doit entendre ici c‘est qu’ils n’avaient de cesse d’affirmer leur supériorité.
 "C'est, disaient-il, dans l'ordre naturel des "espèces", de soumettre ou d'être soumis!" 
Du chef supprême au chef de famille, chacun imposait sa volonté à l'autre.
Le droit de commander demandait à se distinguer d'une manière ou d'une autre de ceux sur qui il fallait l'exercer. 
 Dotés d' une capacité d 'adaptation sans égal ils l'usaient à modifier ainsi leur propre nature. C'était une part importante de leur activité, jouer sur les apparences.
Cet aptitude, s'étant développé sur plusieurs générations, eu une incidence notable sur l'évolution de l'espèce. 


Qui croire?

Antoine n'en avait que faire de son apparence. De toute façon il ne descendait plus au village : on ne voulait plus de lui.
Alors, à quoi bon...
Dire qu'on l'avait aperçu à l'orée d'un bois sous-entendait qu'il n'était pas seul, mais accompagné de ses bêtes. Ceux qui en témoignaient, pratiquaient avec complaisance l'amalgame. Ces esprits mals éclairés s'accordaient à penser, tout bas, qu'il était devenu "sauvage", un être moitié homme, moitié animal. De là à s'imaginer qu'il pouvait se nourrir de chair humaine....
L'époque était obscure et les lumières avaient bien du mal à parvenir jusqu'aux montagnes.

  
Théâtre des opérations

Durant plus d'une année la province fut le théâtre d'événements dont leurs ampleurs, même  à ce jour, restent sans explication tant ils  dépassèrent le cadre de tout entendement. Ce qui aurait pu ne constituer qu'une simple affaire locale pris des proportions dont le retentissement se fit entendre jusqu'à  l'étranger.  
Les dégâts qu'ils causèrent, ne pouvant être mesurables parce qu' ils se devaient d'être minimiser, portèrent atteintes à plusieurs communautés qui se seraient bien passées d'une telle publicité. Les acteurs de cette dramatique histoire furent le jouet de pouvoirs qui, en fin de compte, les ignorèrent. Pouvoir politique, pouvoir économique, pouvoir religieux et le tout dernier, pouvoir médiatique. 
Du simple fils ou fille de paysans, paysans eux mêmes, éleveurs, laboureurs propriétaires ou non, manoeuvriers, membres du clergé, jusqu'aux notables et hobereaux locaux, souffrirent de la tournure que prirent les événements. Ils en perdirent rapidement la maîtrise. Ils durent s'en remettre aux mains de gens, étrangers au pays, dont les raisons qui les poussaient à agir semblaient être autres que celles pour lesquelles leur présence avait été souhaité .
C'est dans le sud est, à l'emplacement même où réside l''une des trois plus importante ville de la province, que tout débuta. Très vite, par mesure de sécurité, volonté politique ou non, on déplaça le problème vers l'ouest, pour définitivement le concentrer sur le nord est, sur des zones à moindre risque ; région de près et de prairies, moins peuplée, avec un habitat plus clairsemé situé sur des hauteurs montagneuses propres à l'élevage, aux reliefs accidentés, difficile d'accès.
Si nous examinons les faits tels qu'ils se sont déroulés force est de croire qu'à cet instant présent de l'affaire les mécanismes qui  furent mis en place échappèrent à tout contrôle. La face devant être sauvée, on laissa libre court à l'improvisation. Mais la musique qui se fit entendre ne fut pas à la hauteur d'interprètes dignes de ce nom. La machination se substitua au manque de talent. Aux yeux des indigents le prestige des grands fut sauf. Reste que sur les lieux, tout observateur, loin des intérêts personnels, ne pouvait se résoudre à accepter la supercherie.


Antoine et la sortie avec les chiens

Ce matin là Antoine, accompagné comme de coutume de sa meute, décida de mener sa ballade quotidienne au plus haut de la montagne. Il faisait froid et à l'approche du sommet la brume s'épaississait. 
Dans l'attente d'y voir plus clair, il fit une halte. Il s'adossa à un de ces amoncellements de rochers à l'équilibre douteux. Les chiens qui avaient pris de l'avance revinrent sur leurs pas et partagèrent, avec ceux qui s’étaient déjà couchés, cet instant de répit.
Seule la chienne, restée sur le sentier rocailleux, tenait la pause. Haletante, elle semblait ne pas partager la décision de s'être arrêté si près du bois.
Alors qu'Antoine regardait en contre-bas et semblait proposer "On devrait redescendre!", la chienne avait tout l'air de lui indiquer "on devrait continuer!". 
Elle appuya sa revendication d'un sourd et profond grognement qui se convertit  en une plainte gémissante. 
Convaincue de sa mission " d'éclaireuse ", elle se remit en marche.
Elle espérait d'Antoine une tacite complicité et comme "qui ne dit mot consent", elle accéléra le pas en adoptant un léger trot. Ce qui eut pour effet de ballotter ses tétines anormalement pendantes dans un mouvement pendulaire qui prêtait à sourire.
Devant cette vision de l'arrière train de sa chienne qui s'éloignait, Antoine ne put se retenir de lui déclamer : "C'est ça ma salope, vas! …Tu l'as pas assez vu le Loup?* ".
Tout en pensant à bien, il descendit le fusil de son épaule et l'arma. 
Le  cliquetis du chien parvint jusqu'aux oreilles de la chienne. Elle stoppa net comme si elle se prêtait au jeu de "Un, deux, trois soleil!". Elle hésita à s’aventurer plus loin, puis à contre-cœur s'en retourna rejoindre la troupe. Elle vint s'asseoir au plus près des pieds d'Antoine lui signifiant qu'avec elle, à ses côtés, il n'avait  à craindre de personne. 
Une fois regroupés, ils poursuivirent leur descente en longeant le bois.          
Antoine avait gardé son fusil en main, à bras baissés. Son visage pointait dans le sens de la marche, mais son regard oblique fouillait l'intérieur de  la forêt. La chienne était pendu à ses basques et cherchait aussi à discerner entre les arbres.  
Antoine éprouvait la désagréable sensation d'être observé. Alors, sans crier gare, il effectua une soudaine embardée en direction du bois, escomptant sur l’effet de surprise. " Tel est pris qui croyait prendre", songea-t-il. Les chiens, excités par ce brusque changement de cap, lui emboîtèrent instinctivement le pas. Mais il n'y eut rien à surprendre : le sous-bois était vide de toute présence. Sa curiosité satisfaite, la chienne prit les devants, "On rentre! ". Antoine n'était pas dupe : elle avait déclenché un exercice d'alerte…et il était terminé. C'était  dans sa nature d'entretenir cet état de vigilance. 
Contrairement à ceux d'en bas qui s’imaginaient en avoir terminé avec la "Mauvaise Bête", lui, grâce à sa chienne, venait de comprendre qu'il était encore trop tôt pour baisser la garde. Il ressentait que la menace pesait encore, tout en ignorant, au demeurant,  sous qu'elle forme elle allait se présenter.

* Avoir vu le loup : Se dit d’une femme qui perdu sa virginité, qui est aguerrie des choses du sexe.

Les forces d 'occupation

Dès le commencement de cette affaire, d'emblée, il y eu malversation. 
Les premières mesures qui furent prises eurent pour but d'éviter que le phénomène ne se propagea au delà d'une région où il avait pris naissance ;  comme il fut dit plus haut, on obtint l'effet contraire.
De toute façon on procéda comme on savait le faire dans pareil cas, comme on avait toujours fait. D'abord avec l'aide des paysans locaux, puis très rapidement on fit appel à des chasseurs armés comme il se doit, aguerris de circonstances identiques. Leurs connaissances s'avouèrent être d'aucune efficacité. `
On demanda à ce qu'il y ait plus de professionnels. Il en vint des régions avoisinantes et l'on multiplia les recherches, de jour comme de nuit. Mais rien n'y fit. A partir de ce moment là, on s'inquiéta en haut lieu. La presse faisait état de cette première déroute. Si  le déploiement d'une telle force de bonne volonté avait démontré son impuissance, le recours à d'autres méthodes, plus radicales devaient s'imposer. L'affaire dépassait le cadre de la région et les pouvoirs des grandes villes, comme ceux de  la capitale même, se mirent à penser qu'il serait opportun d'aborder le problème sous un autre angle. 
Les forces armées entrèrent en jeu et  établirent des plans de batailles. 


La paix retrouvée

Le pays avait retrouvé sa tranquillité d'antan depuis que le remue-ménage avait cessé dans les montagnes. S'en était fini de cette pétarade provoquait par  les recherches. Au loin, certains jours, ça tirait de tous les cotés. D'autre jours c'étaient   les cris et et le bruit sourd des chevaux qui précédaient les coups de feu que l'on entendait de trop près.
La nature, quelque peu perturbée par tous ces chambardements reprenait ses droits : il n'y avait pas que les hommes qui s'étaient cachés. 
Antoine avait ressenti cette angoisse qu' instinctivement une bête éprouve lorsqu'elle se sait pourchassée,  quand il ne lui reste qu'un seul recours : la fuite éperdue, le "Sauve-qui-peut". Et dans cette histoire, qui n'était toujours pas démêlée à ses yeux, on s'était bien souvent trompé d 'ennemie. 
Les bêtes savaient de la fureur des hommes, qu'elle  était à craindre comme l'était l' incendie. L'effet dévastateur était le même ; l'une comme l'autre frappait de manière aveugle et pouvait n'épargnait aucunes d'entre elles.
Durant cette période qui fut angoissante pour tous, ses chiens restaient sur le qui-vive permanent. Ils ne pouvaient se résoudre à rester dans l 'attente et si l'un seul d'entre eux éprouvait une inquiétude elle se transmettait inexorablement à l'ensemble de la meute. Lorsque ça devenait incontrôlable, pour calmer leur excitation, Antoine les fatiguer en de longues ballades. Il les rassurait ainsi de s'être rendues compte par elles mêmes. 
Seule la chienne  ne pouvait se résoudre  à s'apaiser.


La prise au sérieux des événements 

 L'apparition de la troupe déconcerta. Leur intrusion parut inadaptée à la situation. Ils s'évertuèrent à démontrer la nécessité de leur présence et en bons militaires qu'ils étaient fut d'installer un état de  guerre ; ce qui n'était pas fait pour rassurer la population paysanne.  
La première de leur stratégie,  qui  pouvait aisément se comprendre, fut de rester   dans leur ville de garnison  située au milieu de la zone où se déclenchèrent les événements. Ils pratiquaient des sorties quotidiennes et une fois perpétrer leurs coups de force, ils regagnaient la quiétude de leur caserne. Mais en novembre leur champ d'action s'étendit de plus en plus loin. Quand le nuit les surprenait, ils imposaient leurs présence et forçaient les autochtones à leur offrir l'asile. 
A voir se déplacer le centre d 'intérêt vers l'ouest, de ce qui devenait leur affaire,   les autorités civiles, avec l'assentiment des autorités militaires provinciales, ressentirent la nécessité  d'intervenir et d'énoncer qu'il sera plus judicieux d'y établir un  campement. 
La troupe s'installa à demeure durant plusieurs mois. Pour les habitants des villages environnants plus rien ne fut comme avant leur arrivée et rapidement les rapports devinrent équivoques.


Echanges de bons procédés

 Oh! Antoine? ". Le visiteur  avait bravé la neige pour monter jusqu'à lui. Ils méritait son attention. On discuta sur le devant de son refuge. Puis on échangea  une tourte de seigle et d'orge contre du gibier pris au collet. La transaction fut rapide et on se sépara satisfait de ce qui paraissait être à chacun un troc équitable. 
Depuis que l'affaire semblait réglée, des habitudes se réinstallaient. Et c'est pas lui qui allait s'en plaindre. Certains villageois, sous le couvert d'une discrétion partagée et passant maintenant outre leurs anciens a-prioris, s'aventuraient jusqu'à la maison du "sauvage". Antoine arrangeait leur ordinaire, mieux qu'il ne  leurs était permis de le faire.
A disposer de deux membres de sa famille garde-chasses offrait d'avantageuses prérogatives ; celles de circuler librement dans les forêts, d'y braconner en toute impunité. Son père et son frère l'exhortaient continuellement à plus de discrétion. "Comment pouvaient-ils, lui expliquaient-ils, justifier leur fonction et exercer des représailles sur des contrevenants s'ils lui laissaient faire ce qu'ils interdisaient à d'autres? "En faisant profiter le fruit de mes larcins, à ceux que j'évite ainsi de tomber entre vos mains" rétorquait-il. 
Que voulait-il dire par là, en s'identifiant au "bon samaritain"? Que le poids de leur fonction de garde-chasse pesait fortement sur la famille et qu'ainsi il l'allégeait? Ou camouflait-il tout bonnement son opportunisme? Peu lui importait ce qu'on en concluait. De toute façon il agissait comme bon lui semblait, pas plus ni moins qu'un  autre.
En montagne, oubliés de tous, on se débrouillait comme on pouvait. C'était dans l'ordre naturel des choses. "Que ça reste entre nous!" Et quiconque venait y foutre son nez n'était pas le bienvenue. C'étaient leurs affaires et "Ca ne regardait personne!...". La loi du silence était respectée plus que toute autre. Elle permettait de s'en sortir et de sauver les apparences".
 " Allez, on rentre! dit-il en s'adressant aux bêtes, demain faut  ramasser du bois!"

Les forces en présence

 Dans ces montagnes, où l'hiver arrêtait toute activité, la venue de la troupe fut une aubaine pour certains membres des communautés paysannes qui, sans encombre, s'adaptèrent à leur présence. Durant cette période de perturbations où l'on sollicita plus que coutume leur hospitalité, ils surent en tirer généreusement profit. 
Au même titre, hostelleries et cabarets des villages multiplièrent leurs prix par deux.
Les militaires s'en plaignirent et firent état, à leur commandement, du manque de collaboration auquel ils s'étaient confrontés. On les gratifia d'une augmentation de leur solde et on leurs certifia qu'ils bénéficieraient des pleins pouvoirs. Toute personne qui ne se conformerait pas à leurs obligations subirait des représailles, qu'il soit notable ou paysan.
Si la population semblait oublier la raison de leur présence, ils étaient bien déterminés à leur rafraîchir la mémoire. Ils imposèrent donc leurs directives et n'acceptèrent aucunement qu'on puisse les discuter. Nul ne se devait de s'opposer à l'autorité royale qu'ils représentaient. 
Devant les tensions grandissantes, l'ordre militaire se fit entendre. Sous le couvert de l'intérêt général, ils tentèrent de dissiper toute forme de trouble ou de rébellion qui aurait pu contrecarrer leur détermination à ce qu'il soit appliqué. 
A croire qu'ils étaient venus que pour cela. Les mesures prises furent loin de recevoir  l'assentiment général de la population. 
Bien plus préoccupés par l'hiver, qui cette année là fut précoce et présageait d'être rigoureux, les paysans rechignèrent à se joindre à la troupe et des notables plaidèrent en leur faveur.
C'est à partir de cette période là des événements qu'il advint, des différentes autorités, de changer de stratégie. Tant pour persuader les villageois de la nécessité des actions qui se menaient sur leurs communes respectives, comme de démontrer que l'affaire à résoudre était bien plus importante qu'elle ne le paraissait. La peur qu'ils fomentèrent fut un facteur de mobilisation.


Le bon droit

Prendre du bois ne nécessitait, jusqu'alors, aucune autorisation. Les forêts  faisant parties des biens communaux et permettaient l'affouage*. Mais depuis quelque temps des bruits couraient, colportaient ci et là par des transhumants*, qu'il en était plus de même en bas. Et que des seigneurs ou nouveaux   propriétaires affermés* à ces derniers, voulaient  se réserver ce droit et restreindre celui des paysans. 
Tout cela n'était pas très clair et contribuait à semer le trouble dans les esprits. A se demander si ce n'était pas fait, à juste titre pour monter les gens les uns contre les autres, et ne plus savoir ce qui était légal ou pas. Pour l'instant, Antoine laissait courir. Ni  son père et ni son frère, qui se faisaient leurs porte-paroles, ne lui en avaient soufflé mot. De toute façon, être du côté de la loi ne les avaient pas , pour autant, empêché de s'en écarter. Ce qui leurs avait valu, avec lui, de goutter à la prison. 
D'ailleurs, durant cette incarcération en ville, Antoine se souvenait qu'il n'avait eu qu'une préoccupation celle d'avoir laissé ses bêtes abandonnées à elles mêmes. Le dernier envoyé de sa majesté qu'on avait jugé à sa juste valeur, un habile intrigant, avait pourchassé et achevé un mastin, coupable d'avoir été pris sur le fait de consommer les restes d'un cadavre. Antoine n'avait qu'une pensée : que ce chien ne soit pas l'un des siens. Les geôliers s'étaient amusés de cet événement et s'étaient plus, ouvertement, à évoquer ce fait-divers. " Ce foutre de gentilhomme s'attaque à une bête qui, comme nous, n'avait plus rien à se mettre sous la dent".
Personne n'oubliait dans cette histoire que les autorités qui se succédèrent   n'hésitèrent pas à plusieurs reprises d'utiliser, sans aucun scrupule, le corps des  victimes comme appât. 
Pour Antoine, il y avait autant de cruauté à abattre un chien, dont l'instinct naturel de charognard l'avait poussé à se nourrir de chair humaine,  que d'offrir, en guise de nourriture, les restes du corps d'un enfant à un prédateur. Qu'importait, à ses yeux, les raisons qui dans un cas comme dans l'autre étaient invoquées ;  ils étaient tout bonnement descendus au rang de la bête et il n'éprouverait, dorénavant, aucun ressentiment à les considérer comme tel.

*Affouage : droit de prendre du bois de chauffage ou de participer au produit de l'exploitation du bois dans les forêts. 
*Affermer : Donner ou prendre à ferme
Bail à ferme : contrat par lequel un propriétaire abandonne à quelqu'un l'exploitation d 'un domaine moyennant le paiement d'un loyer.( Fermage : redevance)
*Transhumance : action de mener paître les bêtes dans les montagnes. Par extension, les transhumants, ceux qui suivent les bêtes.


Les grands moyens

A dates rapprochées, il y eut plusieurs grands rassemblements. La procédure était identique. A chaque fois on mobilisait les habitants des villages environnants et l'on constituait des groupes de battues. A leur tête, un notable qui avait la confiance du corps militaire. Il avait pour instructions la charge de bien répartir les hommes en tirailleur, de vérifier que ceux qui, de bon droit, possèdent des armes en usent de manière honnête et enfin que l'ordre avant tout soit respecté.
  Tout ça devait se déployer bruyamment et rabattre l'ennemi en un point afin de concentrer, sur lui, le feux des tireurs. La tactique paraissait évidente mais en réalité sur le terrain c'était tout autre chose. La traversée en forêt rendait difficile cette forme de progression. Très vite la ligne de front  se transformait en une seule file, où l'on marchait à la queue leu leu*. Comment encercler ainsi? 
 Des villageois découragés, fatigués, souvent à des lieux de leur maison désertaient le champs de bataille. Ces opération se soldèrent par des échecs. On eut recours à des punitions. Des notables mêmes furent emprisonnés sans que leurs doléances furent entendus. Leurs intérêts différés de ceux dont les autorités se prévalaient. Les hautes récompenses promises  n'avaient pas suffies à les convaincre du bien fondé de l'action menée sur leur territoire par des hommes qu'ils considéraient comme des étrangers cupides, imbus de gloire et d'honneur.
Ces villageois récalcitrants affirmèrent tout haut ce que la plupart des recrutés, par peur des représailles, pensaient tout bas. Peut être mieux affranchis ou d'un esprit plus raisonné, ils ne pouvaient se résoudre à une soumission inconditionnelle. Leur contribution n'avait  pas  été l'expression de leur propre volonté mais celle d'une autorité qui l'avait ordonné.
Leur attitude rebelle, bien qu'elle fut réprimandée, sonna le glas des actions menées par la troupe. 
Pour suppléer la force armée, on y expédia dans ces montagnes traversées uniquement par des chemins de mulets et des drailles*, un gentilhomme dont s'était le métier de chasser, qui appartenait aux "Plaisirs du Roi"*. Le mal nécessitait un remède  plus approprié.
L'autorité suprême ne pouvait rester sur une défaite, encore moins d'accepter que son image en soit ternie. Les rumeurs dont la presse s'alimentaient et les affabulations qu'elle dispensait l'obligea à réagir et à reconsidérer l'affaire. Elle s'en remettait donc à un "spécialiste", fait à tous les terrains,  mais moins à rencontrer une population dont l'hostilité naturelle à une présence étrangère s'était renforcée.

*Drailles : chemins suivis par les troupeaux qui montent, l'été, dans les montagnes
*Plaisirs du roi : sous cette appellation était groupée les différents équipages des chasses auxquelles participaient tout un personnel hautement entraîné.
*Queue leu leu :marcher l'un derrière l'autre à la manière des loups sur les traces de celui qui le précède.
("leu" vient de loup. En langue d'Oc, le "u" se prononçant "ou")

Par la force des choses

Il lui revenait souvent en mémoire ces grandes battues qui eurent lieu  l'hiver dernier. Tout d'abord parce qu'elles concentrèrent, sur ces terres enneigées, plus d'hommes qu'il n'aurait jamais pu imaginer apercevoir un jour si près de sa maison. Et puis surtout parce qu'ils y participèrent, lui, son père et son frère : leur fonction de garde-chasse les y obligés : c'était incontournable. 
Par solidarité familiale, il s'adjoignit à leur groupe de battue. Ils étaient armés. Cela leurs conférait une situation privilégiée. Les chasseurs venus de provinces avoisinantes, des professionnels, les croyaient des leurs. Les paysans du cru, eux, tenaient leur distance avec la famille d'Antoine. Ces circonstances particulières qui les avaient faits se côtoyer, ne les avaient pas, pour autant, rapprochés. Ils demeuraient, plus que jamais, des représentants d'un pouvoir, donc suspects.
Antoine savait que beaucoup de ceux qui marchaient côte à côte, en seraient facilement venus aux mains s'ils s'étaient trouvés seuls, face à face ; les regards qui s'échangeaient étaient lourds  de suspicion... Mais les rivalités semblaient, pour un temps, s'estomper. Les secrets dans ces contrées, s'ils compromettent la liberté des échanges, restent une monnaie d'échange. Une complicité tacite les unissait. Pourquoi en dire plus. 
Pour l'instant ce qu'ils redoutaient, c'était que tout se tintamarre en forêt ne vienne affoler un gibier dont ils pouvaient craindre les débordements sur leurs terres de culture. Les maîtres de ces lieux et leurs suites exerçaient de moins en moins leur privilège de chasse. Le braconnage était devenu d'utilité publique. Il régulait, autant que faire se peut, ce trop plein d'animaux nuisibles.  C'est pour cela qu'on acceptait des espèces comme Antoine. D'ailleurs, on ne pouvait lui enlever de l'esprit qu'une escouade de braconniers auraient été beaucoup plus efficace que tous ces chasseurs en goguette et ces militaires en dentelles. Qui plus est, tout cet argent, dispensait en primes et en frais, mieux placé. Mais la mascarade avait été préféré. Pour sûr, pensait-il, elle devait avoir son utilité qui nous est bien cachée. 
Mais bien que personne n'osa émettre cette éventualité, un sentiment prenait corps : celui qu'on pouvait régler ce problème sans leur aide. 
Malgré elles, ces troupes d'occupation avaient fédéré de la cohésion.
Antoine comprenait cela, qu'à quelque chose malheur est bon. 



La venue de ce "Louvetier" de profession tendait à confirmer plutôt qu'à croire que ce que l'on recherchait pouvait être finalement un "Loup". L'illustration qui figurait sur l'avis de recherche, placardés sur les portes des différentes paroisses par les militaires, avait laissé planer un doute sur l'identité de la chose recherchée.      
Plus rien ne sera comme avant...

tu seras un homme, mon fils!
Merci mon père!

il peut compter sur moi...
(illustrations Yvan Villeneuve : yvan-villeneuve.blogspot.fr)

changer de repères...
...de point de vue!
love night